La renaissance carolingienne

Après avoir conquis la péninsule arabique, Mahomet meurt en 632. C’est le début de l’expansion de l’Islam sur le bassin méditerranéen. Si les premières années de conquêtes bloque le peu de commerce qu’il restait entre l’orient et l’occident, cette expansion sera un atout dans le futur. En quelques années, les musulmans vont conquérir le Moyen Orient (661), l’Afrique du Nord (711), chasser les wisigoths d’Espagne (718), coloniser la Septimanie (719) et tenter de gagner la Loire avant d’être arrêtés en 732 à Poitiers. Cette nouvelle hégémonie sur la Méditerranée va être le moteur d’une croissance exceptionnelle sur les terre d’Islam. L’or, entassée depuis des siècles en Asie Mineur, va déferler dans toute l’Europe et le royaume franc, alliant comme tout le monde guerre et commerce prendra sa part. Les besoins viennent maintenant des conquérants. Les centre urbains musulmans consomment avec frénésie. L’inflation aidant, ils achètent à prix d’or bois, fourrures, fer, céréales. Le précieux métal fait son grand retour en Europe occidentale.

L’avènement de la dynastie carolingienne amène son lot de réformes économiques, commerciales et monétaires. Encore Maire du Palais de Neustrie, Pépin ordonne, le 2 mars 744 lors du synode de Soissons, la création, par les nouveaux évêchés, de marchés hebdomadaires dans chaque cité (legitimus forus). Il souhait ainsi relancer les économies urbaines et tenter l’implantation, même ponctuelles, de marchands professionnels. Malgré tout, ces marchés restent peu fréquentés et les échanges se concentrent essentiellement sur les produits locaux et ruraux. Le 11 juillet 755, par le capitulaire de Vernon, Pépin, devenu roi des francs, s’attaque à la monnaie.

De moneta constituimus, ut amplius non habeat in libra pensante nisi XXII solidos, et de ipsis XXII solidis monetarius accipiat solidum I, et illos alios domino cuius sunt reddat.

Capitulaire de Vernon

En ce qui concerne les monnaies, on ne frappera plus que 22 sous dans une livre poids [de métal], sur ces 22 sous le monétaire retiendra un sou et le reste sera rendu [au porteur du métal].

Jean Lafaurie (Traduction du Capitulaire de Vernon)

Depuis la chute de l’empire millénaire, le bimétallisme or/argent a toujours été présent et l’or, la charpente du système monétaire. Pépin le Bref, pour des raisons de pénurie (l’or arabes n’arrive encore que progressivement), par volonté de frapper des monnaies de qualités en grand nombre et de leur redonner une valeur fiduciaire en imposant un contrôle d’état, institue le denier d’argent6 en remplacement du sou d’or hérité de Rome. Il rehausse la teneur en métal, passant de 1,10g à 1,22g et lui donne une valeur d’1/12e de sou au lieu de 1/40e, pour 264 deniers dans une livre romaine d’argent, soit 322,56g.

Entre 768 et 771, le rapport passe à 1/240e de livre romaine, relevant le poids du denier à 1,34g7.

Commerce sous les caroligiens
Commerce sous les caroligiens

En 781, Charlemagne, par le capitulaire de Mentoue impose la monnaie franque à l’Italie, puis réforme à nouveau le système au synode de Francfort en juin 794. Le denier d’argent vaut désormais 1/240e de livre pour toujours 12 sous afin de s’aligner sur les réformes du système des mesures et de poids faites 5 ans plus tôt lorsque fut préféré le grain de blé comme unité de poids au grain d’orge germanique. Ainsi, la livre d’argent passe à 409g (15 onces romaines), soit environ 7700 grains, portant le poids du denier d’argent à 1,70g. Charlemagne instaure également une nouvelle division monétaire, l’obole, équivalant à un demi-denier. Malgré des tentatives pour relancer la frappe de monnaie d’or à son effigie, Charlemagne, puis Louis Ier le Pieux, abandonnent l’idée d’un nouveau « solidus » impérial. La monté de l’islam et ses conquêtes, amène un flot continue de monnaie d’or en Europe au point d’imposer le dînâr abbassîde8 dans le commerce international. Afin d’affirmer la nouvelle monnaie nationale et de la contrôler, Charlemagne confère, par le capitulaire de Thionville de décembre 805, le monopole d’émission des pièces à quelques rares ateliers.

De falsis monetis, quia in multis locis, contra iusticiam et contra edictum fiunt, volumus ut nullo loco moneta sit, nisi in palatio nostro, nisi forte iterum a nobis aliter fuerit ordinatum. Illi tarnen denarii qui modo monetati sunt, si pensantes et meri fuerint, habeantur.

Capitulaire de Thionville

Comme il se fabrique de la fausse monnaie dans beaucoup de localités, frauduleusement et contre nos édits, nous voulons qu’on ne frappe monnaie en aucun lieu sauf en notre palais à moins que nous n’en ayons ordonné autrement. Cependant les deniers en cours seront reçus [dans le commerce] s’ils sont de bon poids et [de métal] pur.

Jean Lafaurie (Traduction du Capitulaire de Thionville)

Ce n’est malheureusement pas suffisant. Sans centre de commerce, la Méditerranée est toujours fermée, le commerce sur la Mer du Nord et la Baltique reste sporadique et minime, les liaisons continentales avec les byzantins toujours coupées par les Avars, la monnaie n’est pas diffusée9 et la nouvelle politique monétaire de Charlemagne échoue.

Sous Louis Ier le Pieux, le capitulaire d’Aix-la-Chapelle de 819 ordonne d’accepter en paiement les bons deniers, instituant de fait un change obligatoire entre la monnaie d’état récente et les anciennes pièces. En 823, le capitulaire d’Attigny précise finalement que les anciens denier seront retirés de la circulation le 11 novembre de la même année. Les Missi Dominici, mis en place sous Charlemagne, bien qu’institué depuis Charles Martel et Pépin, sont mis à contribution et doivent contrôler la qualités des monnaies en circulation dans leurs districts. Dés lors, ces agents publics, déjà puissants, s’approprient la gestions économique de régions entières avec toutes les dérives de profits personnels qui en découler. Afin de s’assurer de leur fidélité, les souverains carolingiens auront à coeur de leur offrir des domaines et de la vassaliser10. En 877, à l’assemblée de Quierzy-sur-Oise, ces concessions royales deviennent héréditaires augmentant de fait le fractionnement des terres, même si certains comtés étaient resté dans la même famille depuis plusieurs générations.

Le comté de Meaux est occupé par une même famille de 740 à 813, celui de Paris par les descendants du comte Gérard, les Adalhard, de 753 à 858.

Michèle Gaillard et Anne Wagner (Les societes en Europe du milieu du VIe a la fin du IXe siecle)

Ce premier sursaut économique n’est donc que de courte durée. Le morcellement de l’empire carolingien par le traité de Verdun de 843 fait à nouveau exploser l’économie et le commerce européen.

Apparition des monnaies féodales et des changeurs

La multiplication des ateliers de frappes seigneuriales et abbatiales, introduisant les monnaies féodales à circulation locale pour compenser la disparition de la monnaie nationale, développe une anarchie monétaire. Les émissions de monnaies se multiplient, mais à des niveaux de qualité différents (poids, taille, teneur en argent). On voit apparaitre du monnayage dans le centre et le nord, à Chinon, Lisieux, Bayeux, mais aussi en Bourgogne à Avallon ou Tonnerre. La dispersion de ces monnaies (analysée par les trésors retrouvés) est limitée, souvent à moins de 100km, démontrant une raréfaction du commerce de distance11 bien que 3 voies commerciales aient été identifiées : une fluviale de la vallée du Rhône, se divisant en deux pour atteindre la Loire ou les pays Rhénan, puis les cotes de la Mer du Nord, une autre au niveau de l’embouchure et du bassin de la Loire et enfin une dernière par cabotage de la Frise à la Gironde.

Le changeur et sa femme - Quentin Metsys
Le changeur et sa femme – Quentin Metsys

Le commerce avec l’orient existe encore mais s’appauvrit. Quelques marchants Radhanites amènent encore des produits de l’est méditerranéen et se fournissent en esclaves, mais les principales transaction se font localement et seuls de rares colporteurs, encore nommés « mercator », font la navette entre les villes avec leur lots de bibelots et de quincailleries. Les boutiques fixent ferment l’une après l’autre.

Ce rare commerce permet tout de même au système monétaire de ne pas s’écrouler. Une organisation apparait autour de la demande croissante de détermination correcte de la valeur des pièces utilisées par les badauds sur les marchés, détermination du poids, du titre, mais aussi, volonté des seigneurs d’imposer leur monnaie face au devises étrangères. Le change va alors devenir une institution dont la jouissance sera donnée à des particuliers, souvent marchands, possédant suffisamment de liquidités pour se porter garant de leur nouvelle fonction.

C’est seulement à partir de la seconde moitié du Xe siècle que la France va sortir de sa torpeur et redonner vie à son économie. Les conflits royaux de la fin du IXe siècle et du début du Xe siècle entre les descendants de Charlemagne et la dynastie des Robertiens, comtes de Paris, affaiblissent le pays qui est toujours en proie aux invasions. Le traité de Saint-Clair-sur-Epte en 911, qui sonne le déclin des raids normands, va lancer les fondations du renouveau économique du pays. Les ennemis d’hier deviennent des vassaux, s’installent et travaillent à s’enrichirent.

Les marchants professionnels et aisés, peu nombreux jusqu’alors, se multiplient et réempruntent les voies commerciales. On voit des échanges fleurissant s’établirent entre l’Espagne et la région de Verdun, on rapportent de gros navires, lourdement chargés, sillonnant à nouveau la Loire12. Des cités italiennes commencent doucement leur essor, Venise, Amalfi, Pise ou Gênes, les futurs « Républiques maritimes ». C’est la reprise du contrôle occidental et chrétien de la méditerranée. En Espagne, c’est la Reconquista. Le nord du pays est libéré du joug de l’Islam, les comtés de Barcelone et d’Aragon se relèvent.

En 987, l’héritier des robertiens, Hugues Capet est élu roi des Francs. Après lui, une lignée de puissants roi vont remodeler le paysage économique de la France.

Références :

6 – « Les réformes monétaires carolingiennes » par Renée Doehaerd
7 – « Numismatique romaine et médiévale » par Jean Lafaurie
8 – « Espaces et réseaux du haut moyen âge » par Maurice Lombard
9 – « Un contraste économique – Mérovingiens et Carolingien » par Henri Pirenne
10 – « Introduction à l’histoire du droit et des institutions » par Guillaume Bernard
11 – « Voyageurs et marchandises aux temps des carolingiens » par Olivier Bruand
12 – « Quelques types de marchands des IXe et Xe siècles » par Etienne Sabbe