Si l’Antiquité a connu de grands voyageurs tels « Ulysse et les Phéniciens », il faudra attendre l’époque des grandes découvertes, à la fin du XVe siècle pour renouer avec le concept du voyage au sens de découverte et d’exploration.
Entre Antiquité et Renaissance, le Moyen Age stagne, du moins en apparence.
Car si la tradition veut que cette longue période, un millénaire, de la chute de l’Empire Romain à la Renaissance, soit frappée d’immobilisme, la réalité est tout autre. A y regarder de près, on constate au contraire que les déplacements sont nombreux, même si ce n’est qu’à la fin du Moyen Age que le voyage trouve le sens qu’on lui donne aujourd’hui.

Le voyages comme apprentissage

Au Moyen Age, on ne voyage pas par plaisir, notion inconnue alors, mais pour faire un pèlerinage, pour guerroyer, notamment en Terre Sainte ou pour commercer. On trouve pourtant sur les routes une population appartenant à toutes les classes sociales : les paysans et les marchands se déplacent de foire en foire, les étudiants et les professeurs d’université en université, les nobles visitent leurs domaines situés souvent à des distances considérables; les clercs et les autorités ecclésiastiques vont de monastère en monastère. Il n’est guère que les femmes qui restent confinées au foyer, encore que certaines dames nobles voyagent aussi et que la foule des pèlerins compte de nombreuses pèlerines.

Dans la littérature du Moyen Age, les Fabliaux en particulier, le voyageur est jeune, pauvre et oisif. Le voyage consume son apprentissage : issu du peuple, le jeune homme parcourt le monde pour s’initier à un métier ou pour trouver un emploi. Les fils de marchands quittent le toit familial pour exercer d’abord des fonctions modestes souvent sur les galères de l’Etat, où ils s’initient au commerce en emportant des marchandises pour les vendre. Sur terre, le jeune suit la même démarche ; il part dès l’âge de 15 ans, s’établit comme apprenti auprès d’un riche marchand puis fonde sa propre compagnie pour vendre ses produits de foire en foire.

Les étudiants, quant à eux, voyagent pour acquérir des connaissances intellectuelles dans des universités réputées comme la Sorbonne à Paris pour la philosophie et la théologie et Bologne pour le droit. Ces universités reçoivent des étudiants de tout l’occident et de l’Orient latin. Abélard (1079-1142) fut un de ceux-là : de Paris à Laon en passant par Cluny il est toujours prêt à discuter de dialectique avec un professeur renommé. Il n’est pas rare que de brillants étudiants deviennent des enseignants recherchés dispensant leurs cours dans divers établissements. Leur mobilité est telle que les universités font prêter serment aux doctorants de ne pas partir une fois leur diplôme obtenu.

Les jeunes chevaliers ne sont pas exempts de tels déplacements, même si leurs motivations diffèrent. Ils « tournent par la terre » pour s’affirmer mais également pour connaître le monde. Si pour eux le voyage est aussi initiatique, c’est par les armes que se fait cette initiation. Ils mènent une vie libre, souvent en groupe et vont de tournoi en tournoi pour acquérir femme et gloire. Une fois la maturité atteinte, souvent fort tard, ils feront un mariage riche et se « sédentariseront », à l’image de Guillaume le Maréchal qui erra ainsi entre l’Angleterre et le continent, « tournoyant » jusqu’à l’âge de cinquante ans.

Si « les voyages forment la jeunesse » au Moyen Age, on voyage également la maturité venue, pour des raisons économiques le plus souvent. Ce sont les marchands qui partent au loin commercer avec le monde arabo-musulman, mais aussi avec l’Inde et la Chine. Ils vont d’Ouest en Est et inversement tant par voie de mer que par voie de terre, en empruntant des itinéraires variés. Ils apportent en Occident des esclaves, de la soie, de la pelleterie, des épices et d’autres produits orientaux et contribuent a maintenir des relations cordiales entre l’Orient et l’Occident relations souvent occultées par les Croisades Certains lieux stratégiques comme l’ile de Chypre sont véritablement cosmopolites et plusieurs témoignages affirment que toutes les langues du monde y sont enseignées et parlées.

On ne présente plus Marco Polo et le voyage qu’il accomplit avec son père et son oncle Jusqu’en Chine. On connait moins Benedetto Zacchana, un Génois qui s’embarqua pour l’Orient dés l’âge de 11 ans, en 1259, où il fit commerce de l’alun après avoir obtenu de l’empereur byzantin un gisement en Asie Mineure.

Son activité l’amena à voyager constamment en Méditerranée, dans la Mer Noire et à Constantinople avec de fréquents retours a Gênes, ou il mourut en 1308.

L’apparat joue un rôle essentiel au Moyen Age : le souverain se déplace pour se montrer mais aussi pour jouir des ressources de son royaume, maintenir le contact avec ses sujets et vérifier la bonne administration de ses terres. Il est accompagné d’une nombreuse suite et d’un important matériel. En 1389-1390, le voyage en Languedoc qu’entreprit Charles VI dura six mois et sa cour, composée de « pas mal de barons du royaume » nécessita quatre mille chevaux. Isabeau de Bavière, qui n’a pas de demeure fixe, se déplace de château en château, en parcourant une vingtaine de kilomètres par jour. Elle emmène avec elle non seulement ses effets personnels mais aussi ses tapisseries, ses orgues, ses étuves, ses meubles… Outre les domestiques, elle est suivie par des conseillers et des prêtres et une troupe de soldats la protège.

Le pape, souverain spirituel, ne se prive pas de faire étalage de sa puissance et de sa fortune. A l’instar du souverain temporel, il se déplace avec un grand nombre de personnes : 194 pour le déplacement de Boniface VIII de Rome à Anagni au printemps 1299, auxquelles il faut ajouter une quinzaine de cardinaux accompagnés d’une vingtaine de familiers pour chacun d’eux…

Premières mesures contre l’insécurité

Le Haut Moyen Age à hérité du réseau bien entretenu des routes tracées par les Romains, empruntées jusqu’au XIe siècle malgré les dégâts occasionnés par les invasions germaniques. A partir du XIe siècle, un nouveau réseau est créé qui ne cessera de s’étendre jusqu’au début du XIVe pour les besoins d’une économie et d’une population en pleine expansion. Les premières routes pavées apparaissent au XIIIe siècle et c’est Blanche de Navarre qui institue le premier « péage autoroutier » entre Troyes et Sézanne : elle autorise les entrepreneurs à percevoir le revenu des péages pour compenser les frais engagés. Les plus pauvres voyagent en chariot grossier ou à pied, notamment les pèlerins pour qui le voyage revêt un aspect pénitentiel. Mais on utilise généralement un cheval, un âne ou un mulet selon la condition sociale du voyageur. Les personnes de condition et les dames nobles disposent d’un char à quatre roues, luxueusement aménagé ou d’une litière dont les deux brancards sont placés entre deux chevaux.

Le voyage par voie de terre dépend de l’état des routes mais aussi des conditions météorologiques et de l’insécurité qui règne sur les chemins. Les forêts – auxquelles est attachée toute une mythologie de la peur -, la lenteur des déplacements et la présence aléatoire de l’autorité policière font que l’on préfère voyager en groupe. Les brigands restent redoutables durant tout le Moyen Age et ce n’est qu’à la fin du XIVe siècle, pour des raisons économiques, que les seigneurs prennent des mesures contre l’insécurité pour favoriser les déplacements des marchands d’une foire à l’autre. Si les fleuves et les rivières sont empruntés pour des liaisons courtes, à l’intérieur d’une région en général, la voie maritime est largement utilisée, même si la mer suscite répulsion et crainte.