En fonction de ses projets et de sa fortune, le voyageur a le choix entre plusieurs types de bateaux dont la taille et la stabilité évoluent au cours des siècles. Cependant, comme sur terre, le bon déroulement du voyage dépend du vent et du temps et les progrès de la navigation ne changent pas sensiblement la durée du voyage, souvent longue et fatigante. Lorsqu’on voyage, trouver à se loger la nuit venue est un souci plus ou moins facilement résolu en fonction de ses moyens et de l’époque. Même s’il existe des auberges depuis le Haut Moyen Age, elles ne sont guère utilisées. Les grands personnages logent chez les vassaux, les autres chez un particulier, un ami ou un parent. Dans la littérature médiévales, l’accueil d’un chevalier errant dans une demeure hospitalière est un topos récurrent.
L’Eglise, en accord avec les préceptes du Christ est tenue d’offrir l’hospitalité aux plus démunis. Les moines ouvrent les portes de leurs monastères en y adjoignant un xenodochium ou maison des hôtes. Le chapitre 53 de la règle de Saint-Benoît stipule en effet : « Tous les hôtes qui surviennent seront reçus comme le Christ, car lui-même doit dire : « J’ai été hôte, et vous m’avez reçu ». A tous, les égards convenables seront rendus, surtout aux frères dans la foi et aux pèlerins ». Durant tout le Moyen Age un réseau d’hôpitaux se constitue gérés par des religieux, frères ou soeurs. Les villes comme les villages possèdent de tels hospices, appelés Hôtels-Dieu pour les villes les plus importantes. Les personnes aisées préfèrent « descendre à l’hôtel » a partir du XIIe siècle, période à laquelle l’accélération de l’urbanisation permet le développement des auberges. On en compte ainsi vingt-sept à Aix-en-Provence au milieu du XVe siècle et une soixantaine à Avignon vers 1370. Il s’agit souvent d’une maison de particulier dont la fonction est signalée par une enseigne et aménagée avec plusieurs lits dans une même pièce. Les chambres n’ont pas de numéro mais sont désignées par leurs caractéristiques, par exemple « La Chambre Peinte ».
Au fil de cartes plus ou moins précises…
En ce qui concerne le voyage dans des contrées lointaines, en Terre Sainte par exemple, il dépend des guides connaissant itinéraires et grandes voies mais aussi moeurs et langue des populations. Le voyageur doit également avoir une connaissance suffisante des cartes géographiques pour se repérer loin de chez lui. Ces cartes, d’abord très imprécises et donc peu utiles sur le plan pratique, sont tracées d’après les récits des voyageurs et des pèlerins s’inspirant eux-mêmes des descriptions des auteurs anciens, Pline et Strabon en particulier. Ils ont une vision du monde limitée a trois parties : l’Asie, l’Afrique et l’Europe entourées par la mer. L’intérieur des terres est pratiquement inconnu en ce qui concerne l’Asie et l’Afrique et de nombreux espaces blancs symbolisent ces terra incognita. Au XIIe siècle, avec les Croisades et les contacts avec l’Orient, les cartes deviennent plus fiables.
Mais c’est à partir de la prise de Constantinople en 1204 que la vision du monde s’élargit : on peut accéder aux steppes russes par la Mer Noire, ce qui permet de traverser l’Asie. Les plaines enneigées de ce continent, habitées par les Tartares seront décrites entre autres par Guillaume de Rubrouck et Marco Polo révèlera un peu plus tard les paysages plus méridionaux de ce continent. L’Afrique reste plus mystérieuse, à cause de la barrière du désert. A partir du milieu du XIIe siècle, des missionnaires s’aventurent en Éthiopie et peu à peu pénètrent l’Afrique de l’Ouest. Dès lors la prééminence est accordée aux cartes sur les textes : Pétrarque par exemple affirme leur supériorité dans le voyage.
Les portulans sont l’aboutissement de cette approche. D’origine italienne, ils se répandent rapidement en Catalogne au XIVe siècle, puis au Portugal et en Espagne au XVe. Leur apparition est liée à l’expansion maritime des grandes cités italiennes et répond avant tout à des besoins économiques. Oeuvre de marchands s’aventurant de plus de plus loin, le portulan permet de connaître les distances, il y est associé a la boussole et au routier, ouvrage indiquant la nature et la profondeur des fonds.
Pèlerins et croisés en Orient
Hormis le marchand qui se déplace pour des raisons économiques, l’homme médiéval part au loin pour se battre ou pour accomplir un pèlerinage. D’ailleurs tout au long du Moyen Age, voyager à le sens de « faire des expéditions militaires ». La première Croisade débute en 1096 mais les pèlerins occidentaux se sont rendus sur les lieux de la vie du Christ, à Jérusalem, dès le premier siècle de notre ère.
Le pèlerinage à Rome, seconde destination des pèlerins, s’effectue dans les premiers siècles et celui de Saint-Jacques de Compostelle a partir du IXe.
Le voyage en Orient, et plus précisément en Terre Sainte, est la destination la plus lointaine et celle qui voit le plus grand nombre de personnes sur les routes puisque c’est par voie de terre que le voyage s’accomplit le plus souvent. Toutes les conditions sociales sont représentées, même si le noble ne voyage pas de la même façon que le pauvre. Le riche, dont le but est militaire, prend le temps de s’équiper, de consulter les relations de voyages antérieurs comme celle de la pèlerine Egérie qui décrivit les lieux saints à la fin du IVe siècle. Le pauvre rassemble le peu qu’il possède et se met en route, appuyé sur son bourdon ou emmenant sa famille dans un chariot sommaire. Tous ont à coeur de mettre leurs pas dans ceux du Christ et plus le voyage sera pénible, plus ils auront le sentiment de mériter la rémission de leurs péchés. Mais au-delà de la foi, d’autres données fondamentales interviennent dans le but du voyage : l’attrait de l’Orient fabuleux, le désir de découverte et l’admiration pour un monde inconnu à comprendre. Cette curiosité, qui annonce l’esprit de la Renaissance, est un élément essentiel dans la démarche du voyageur en Orient, élément que l’on retrouve dans les relations, notamment celle de Guillaume de Boldensele où regard curieux (il profite de son pèlerinage pour visiter l’Egypte et en donne une description intéressante) et méditation se mêlent.
Depuis l’itinéraire de Bordeaux à Jérusalem cette constante perdure du IVe au XVe siècle avec des contraintes diverses selon la situation politique tandis que se mettent en place divers itinéraires, terrestres et maritimes, au départ de Venise pour ces derniers. D’autre part, des réseaux d’accueil sont organisés sur la route de Jérusalem où les moines franciscains s’installent à la fin du XIIIe siècle.
Soldats et pèlerins ne sont pas les seuls a faire le voyage en Orient. On trouve de grands personnages, ambassadeurs et diplomates qui représentent leurs souverains. Ils voyagent en grand équipage, sont accompagnés d’une suite nombreuse et d’interprètes – les truchements – comme le Juif lsaac envoyé en 801 par Charlemagne auprès du sultan Haroun al-Rashid. Jusqu’au VIIIe siècle, des envoyés permanents, les apocrisiaires, représentent le pape auprès de l’empereur de Byzance, remplacés aux siècles suivants par des clercs, légats du Siège apostolique.
Le voyage peut être aussi une activité professionnelle. Plusieurs Etats disposent d’un service postal et envoient des émissaires d’une région, d’un pays à l’autre. L’Empire byzantin – jusqu’à la fin du XIe siècle – mais aussi le monde arabo-musulman, la Chine, dès le IIIe siècle avant Jésus-Christ, ou l’Inde connaissent ce type d’organisation. Le courrier est acheminé à dos de chameau, de mulet ou grâce à des pigeons voyageurs et des bateaux-poste. En Occident, des marchands se regroupent au XIIIe siècle en Italie pour payer des courriers collectifs vers les foires de Champagne et au XIVe, les papes établissent également un service de courriers.
Si le Moyen Age est un monde stable parce qu’essentiellement rural, attaché à son terroir, appréhendant d’affronter un Ailleurs inconnu et hostile, il n’en demeure pas moins que les déplacements sont nombreux et que le mouvement est une composante de l’époque médiévale. Marchands, soldats et pèlerins parcourent souvent de grandes distances, pour des causes économiques, militaires ou religieuses. Voyager pour le plaisir ou pour fuir une réalité décevante – notion toute moderne – est un concept inconnu au Moyen Age. Néanmoins on peut penser que c’est la découverte progressive du monde grâce aux voyageurs de tous ordres, ceux qui ont laissé un témoignage comme les plus obscurs, qui a permis aux hommes de la Renaissance de partir à la recherche de mondes nouveaux.